Le centre de Tuol Sleng ou prison S21

Auteur : Tanguy Bodin-Hullin (tanguybh2 hotmail DOT com) - mise à jour du texte le 17 février 2004 - Sous réserve de modifications
Ce texte a été publié sous licence Creative Commons Paternité-Partage des Conditions Initiales à l'Identique 3.0 Non transposé (CC BY-SA 3.0) le 26 mai 2013.
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Le musée de Tuol Sleng, connu comme le Musée des crimes du génocide khmer, est un ancien lycée (Toul Svay Prey) qui a été utilisé par les Khmers rouges comme centre de détention et de torture entre 1975 et 1979. Le nom de code de cette prison était S21. Elle faisait approximativement 400*600m.
On peut traduire Tuol Sleng par "Colline empoisonnée", révélateur du lieu, tandis que l'ancien nom de l'école, Tuol Svay Prey, signifie quelque chose de complètement différent ("Colline des manguiers sauvages").
Actuellement il y a possibilité de visiter les lieux où toutes ces atrocités ont été commises, ainsi que le site d'extermination de Choeung Ek, dénommé "Killing Fields", lié à la prison et situé à quelques kilomètres dans les champs.

Les Khmers rouges enfermaient à S21 tous les supposés opposants au régime, sur n'importe quel motif, et cela même si le motif n'était pas valable. Les personnes enfermées étaient aussi bien des jeunes que des personnes plus âgées. Il y avait des femmes, des enfants, et parfois des familles entières (bébés y compris) d'ouvriers, d'intellectuels, de ministres et de diplomates cambodgiens, mais aussi des étrangers (Indiens, Pakistanais, Anglais, Américains, Canadiens, Australiens...) Le simple fait de porter des lunettes (y compris pour les enfants) était suffisant pour être considéré comme intellectuel et donc, "à exterminer".

Les anciennes classes du 2ème étage servaient de salles de détention communes (Chambre D),
Les gens y étaient enfermés à environ 50 personnes, allongées par terre en alignements serrés, les familles regroupées. Les pieds des détenus étaient attachées à de longues barres de fer par des anneaux en fonte.
Après leur arrivée et la photo, tous les détenus étaient rassemblés là et numérotés.
Un gardien s'occupait régulièrement de fouiller les personnes qui étaient allongées, pour voir si elles ne disposaient pas d'un stylo pour se suicider en se crevant la gorge (une personne s'est suicidé comme cela), ou bien d'un boulon ou d'une vis pour se suicider aussi en l'avalant.
Le réveil était à 4h30 du matin. On donnait aux personnes une bouillie de riz le matin à 8h et le soir à 20h, et dans la journée on ne leur donnait pas d'eau. Les gens faisaient leurs besoins dans une boîte militaire en métal qu'un gardien leur apportait. L'odeur devait être particulièment mauvaise.

Mon opinion personnelle :
Dans le film S21 de Rithy Panh (sorti en février 2004 à Paris), l'un des gardiens montre avec force démonstrations qu'il donnait de l'eau aux prisonniers allongés, mais j'ai lu que le peintre Vann Nath, rescapé, a dit le contraire. Pourtant il est présent dans le film...
(Source : http://www.cbc.ca/sunday/cambodia/story.html)
Mais je pense que les anciens gardiens ou autres khmers rouges ont tout intérêt à mentir, afin de voiler la vérité, cacher au maximum les atrocités commises, et de faire baisser les peines d'un éventuel tribunal. Il faut donc se méfier, parce que les choses les plus atroces risquent d'être déformées, cachées, et disparaître avec le manque de précision dans la collecte de l'information.

Dans le même bâtiment, les salles de classe du premier étage n'étaient pas reliées initialement, mais les khmers rouges ont cassé les murs entre les classes, afin de faire un couloir central, des deux côtés duquel ont été fabriquées de petites cellules sommaires en brique, avec des portes de bois à lucarne carrée, permettant aux gardiens de regarder en permanence ce qui se passait dans les cellules. Les cellules étaient de taille variable, mais les plus petites d'environ 1,5m² contenaient 3 personnes, parfois plus.
Pour certains prisonniers, les gardiens avaient écrit des phrases en khmer sur l'intérieur des portes, qui prescrivaient un conseil à respecter pour le détenu. Dans le film S21, l'une de ces phrases est traduite.



Les anciennes classes plus petites, situées dans un bâtiment séparé (bâtiment B), et possédant des fenêtres à barreaux métalliques, servaient de salles de torture individuelles . On y attachait les prisonniers (hommes ou femmes) sur des sommiers en fer, et on les torturait afin qu'ils "avouent". La plupart avouaient des "fautes" qu'ils n'avaient pas commis.
Ce qu'ils disaient était transcrit sur du papier. Lorsque l'aveu ne plaisait pas, le tortionnaire en faisait une boule qu'il jetait dans un coin de la salle, et le prisonnier était à nouveau torturé pour en tirer un nouvel aveu. Les tortionnaires donnaient aux détenus des "idées" d'aveu : par exemple un lien avec la CIA, le KGB, ou encore un quelconque système démocratique, "capitaliste", ou "impérialiste".
Le système d'interrogatoire était fait pour entraîner l'aveu des personnes.
Les tortionnaires se divisaient en trois groupes : Les "Gentils", les "Chauds" (?), et les "Mordants"
Lorsque les prisonniers n'avouaient rien au groupe des "Gentils", qui était un groupe politique, ils étaient pris en charge par le groupe des "Chauds", et ainsi de suite jusqu'au groupe des "Mordants".
Dans le film S21, un ancien gardien décrit qu'ils utilisaient un sac plastique pour étouffer les détenus, et des pinces pour lui lacérer les chairs.

On voit sur les peintures faites par Vann Nath (peintre ancien prisonnier ayant travaillé de manière forcée pour les dirigeants Khmers rouges) certaines scènes de torture retranscrites, comme le dépôt de scolopendres et autres insectes piqueurs sur le ventre des prisonniers, ou des tortures visant à étouffer les prisonnier à l'aide d'une cuve pleine d'eau dans laquelle on les pendait par les pieds..



Duch, qui était le maître du complexe de Tuol Sleng, était un ancien enseignant nommé Kang Kech Eav ! Cet homme vit actuellement en liberté... (voir photo de Duch)
Il dirigeait en fait le département de la mort. (voir organigramme du camp)
Ses gardiens photographiaient soigneusement les prisonniers au moment de leur arrivée, ainsi qu'avant ou au moment de leur mort, alors que leurs gorges étaient tranchées, leurs corps mutilés par les tortures et si décharnés par la faim qu'ils étaient presque méconnaissables.
Les photographies faisaient partie d'un système destiné à prouver que les ennemis de l'état avaient bien été tués. Les khmers rouges tenaient également des registres d'entrées et sorties des prisonniers (morts ou voués à la mort) de la prison
Les registres et les photos ont permis de révéler qu'au total environ 10 500 prisonniers y sont resté trois mois en moyenne, en plus des 2000 enfants qui y ont été tués
Duch assignait même des jours spécifiques pour tuer certains types de prisonniers : un jour les femmes de "l'ennemi", un autre jour les enfants, et un autre les travailleurs des usines.

Les gardes avaient entre 10 et 15 ans, et sous l'endoctrinement de leurs aînés, devenaient rapidement beaucoup plus cruels que les adultes.
Les règles de l'Angkar (le Parti révolutionnaire) stipulaient que les relations amoureuses étaient interdites. Mais de nombreux khmers rouges étaient en pleine croissance libidinale, et certains violaient les filles ou les femmes du camp, en faisant cela en cachette, le plus discrètement possible.
(cf. film S21)
Personne ne s'est échappé de Tuol Sleng.
A la libération du camp, il y avait sept survivants.

Ressources & Bibliographie
(Film) S21, la machine de mort Khmer Rouge (Rithy Pahn)(Sortie Fev 2004)
(Film) Autobiography of Hout Bophana (par Rithy Pahn)(Film qui est diffusé à Tuol Sleng)
 
(Movie) The killing fields by Roland Joffe - Story of Sydney Schanberg and Dith Pran
(Film) La déchirure par Roland Joffe (histoire d'un journaliste rescapé des Khmers Rouges)
 
 
 
Brother Number One : A Political Biography of Pol Pot, by David Chandler.
(Non traduit en français)
 
First They Killed My Father : A Daughter of Cambodia Remembers, by Loung Ung
D'abord ils ont tué mon père (chez Plon)(Traduction Frank Straschitz)
 
Children of Cambodia's Killing Fields (Compilation of Memoirs by Dith Pran)
(Non traduit en français)(Compilation de mémoires de survivants)
 
 
 
 
Ressources web
Histoire de Vann Nath, le peintre survivant - http://www.cbc.ca/sunday/cambodia/story.html
 
Université de Yale - Cambodian Genocide Program - http://www.yale.edu/cgp/index.html
Photographies : http://www.yale.edu/cgp/photographs.html
Base de données de photos des victimes de S21 avec possibilités de recherche http://research.yale.edu:8084/cgp/cts/ctssearch.jsp
 
Centre de documentation du Cambodge - http://www.bigpond.com.kh/users/dccam.genocide/
 
 
- Elizabeth Becker, When the War Was Over
Duch, head of the Tuol Sleng prison complex, was a former schoolteacher named Kang Kech Eav. Duch oversaw a precise department of death. His guards dutifully photographed the prisoners upon arrival and photgraphed them at or near death, whether their throats were slit, their bodies otherwise mutilated, or so thin from torture and near starvation that they were beyond recognition. The photographs were part of the files to prove the enemies of the state had been killed. Duch even set aside specific days for killing various types of prisoners: one day the wives of "enemies"; another day the children; a different day, factory workers." (Elizabeth Becker, When the War Was Over)
 
Tuol Sleng Museum, known as the Museum of Genocidal Crimes.
This place was used by the Khmer Rouge as a detention and torture center between 1975 and 1979.
Today the building houses exhibits, paintings and photographs of many of the victims. Visitors can see the crude cells built in the classrooms and the torture devices used to extract confessions in Stalinesque purges of the regime. Open daily from 8 a.m. to 11 a.m. and 2:30 p.m. to 5 p.m.